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il y a le ciel, le soleil et la mer

une pièce de et avec │ Caroline Breton

musicien │ Mox Mocorro 

vidéo │ Clélia Schaeffer

Première le 26 mars 2008 au Point Ephémère, Paris

Festival Il faut brûler pour briller

© Clélia Schaeffer

C'est dans le cadre de Il faut brûler pour briller que Caroline Breton a présenté le 7 mars, au Point Ephémère, une performance intitulée Il y a le ciel, le soleil et la mer. Forte de son expérience de comédienne, l'artiste, nommée pour l'occasion Soleil, a élaboré des stratagèmes de séduction visant à nous amener dans un espace feutré où le poids du bien-être est célébré entre parenthèses.

Considérer l’action performative à la lumière de sa dimension contextuelle pose certes la question de l’intensification des présences (de l’artiste, du regardeur ainsi que de l’action), mais également celle de la volonté significative, de l’expérience comme stratégie d’infiltration du réel. Le cœur du problème ne concerne pas nécessairement ses vertus cathartiques et participatives, mais également ses prétentions démonstratives, quand s’interroger devient un postulat, ou l’axiome d’une « volonté de la volonté ». Les actions de Caroline Breton entendent déjouer cette célébration de la performativité transgressive au profit d’une réminiscence de ce qui était déjà là, de ce qui se dilue dans l’impermanence.


Il y a le ciel, le soleil et la mer s’amorce sur les quais du canal Saint-Martin où un zodiac orange, encadré par deux sapeurs-pompiers, l’un au sol l’autre à l’eau, accueille une jeune femme parée d’une robe de baptême, d’un châle ainsi que d’une coiffe blanche. Lentement, elle met le feu à une embarcation de paille qui entame alors sa dérive – rappelant les rituels funéraires indiens se tenant sur le Gange – puis, se concentre sur la traversée à effectuer pour nous rejoindre, guidée par un sauveteur devenu pour l’occasion passeur, alors qu’elle entonne la célèbre chanson de François Deguelt. Que ce soit au travers de l’évocation de processus cathartiques relevant de la sphère collective, de la figure de Chiron ou de la déesse Gangâ, le mysticisme tellement prisé par l’Occident postmoderne est là, désactivé par sa consommation quotidienne pour être ensuite réinjecté de sens nouveaux. Après que la performeuse nous a amenés à la suivre le long du Point Ephémère, elle nous entraîne en effet dans une salle où nous est d’abord servi le tchaï dans des gobelets, affublés d’une étoile à six branche tracée au marqueur. Au sein de cet espace sont éparpillés des éléments constitutifs d’un semblant de mythologie personnelle tant ils communs et usités : une clé, des miroirs, des cages ou encore des bougies disposées en cercles. Il est ici difficile de savoir si Caroline Breton nous amène dans la sphère de son intimité, créant une sorte de fantasme collectif autour du personnage nommé Soleil, ou si elle compose de toutes pièces un décor, comme mirage d’une individualité dissolue dans le lieu commun.


Ce qui est certain, c’est que l’artiste place au cœur de son processus d’action la séduction. En effet, si elle chante alors qu’une embarcation la mène jusqu’à nous, elle rit par éclats, parfois lascive, nous demande de la suivre, sollicite les hommes en leur murmurant : « Porte-moi comme une princesse » – et de se faire ainsi promener en fredonnant… Il y a le ciel, le soleil et la mer agit bien sur un principe d’invitation, mais de ces invitations qui ne se déclinent pas. L’impératif n’est jamais formulé, l’implication du spectateur est en effet induite par élimination : nous sommes au bord du canal Saint-Martin, il y fait froid, les voitures et les métros se succèdent dans un décor gris, jusqu’à ce qu’une jeune femme vêtue de blanc, attentionnée et souriante, nous propose de la suivre. De la séduction comme processus et de la matrice comme objet de son œuvre, Caroline Breton développe un champ lexical qui traverse l’eau, le feu, le profane et le sacré pour célébrer le printemps prochain, nous amener dans un ventre chaud et rassurant. L’absence de frontalité, affirmée par le biais du placement libre des spectateurs dans l’espace, participe de ce sentiment de protection, de même que lorsque sa robe frôle la flamme d’une bougie, plusieurs personnes s’élancent pour l’en écarter alors que d’autres retiennent leur souffle avec malaise. En deçà de toute notion de responsabilité se joue d’abord la question de la volonté, volonté qui s’abandonne aux ronds de jambe perpétrés par une princesse à mi-chemin entre la diva et la succube. Une fois séduit, le regardeur est livré en l’état à un univers apaisant, chatoyant mais néanmoins empreint d’inquiétude, de cette terreur intimement solidaire de l’Eros en son acception la plus quotidienne.


Caroline Breton nous parle certes de la matrice avec une certaine ingénuité, mais cette fraîcheur manifeste dans la proposition n’est que mirage, elle dissimule une tension forcenée logée dans le fantasme d’un être protecteur et maternel. Il s’agit d’une légèreté lestée par l’envie de se dire, une réaction de l’artiste face, notamment, à un théâtre qui peine à s’affranchir de la distance qui le sépare du vivant, qui n’arrive que rarement à faire état de groupe et de proximité. Le corps en présence ne suffit pas en effet à manifester l’être ; la célébration proposée rappelle combien il est épuisant et périlleux de juste « cueillir le jour » (alors que nous nous apprêtons à fêter le quarantième anniversaire de Mai 68). Cet univers rassurant tient à la précaution que prennent les acteurs face à l’angoisse de la perte, il n’y est pas tant question de revendication que de rééquilibrage (sans victimisation), entre l’homme et la femme, entre l’artiste et le public, entre le vivant et le péril. Caroline Breton propose, notamment par le biais de la chair, de la vidéo, du texte ou encore du son (elle chante, parfois accompagnée de musiciens), un espace éphémère qui n’existe pas seulement dans la jouissance mais également dans la conscience de sa précarité. Cette angoisse du devenir est à mettre en relation avec le tiraillement souligné par Gilles Lipovetski dans Les Temps hypermodernes, à ceci près qu’il n’est pas nécessairement un fait générationnel.


Loin de toute volonté démonstrative (y compris au sujet d’une quelconque pluridisciplinarité), Il y a le ciel, le soleil et la mer est une parenthèse dans laquelle nous sommes invités à nous réfugier... pour le moment. La séduction n’y est qu’un stratagème visant à tracer les contours d’un espace maternel − rappel d’un état fœtal − au sein duquel s’agence le champ lexical d’un mysticisme remodelé. Il ne faut cependant pas voir, au travers de cette notion de préméditation, l’expression d’une quelconque désillusion postmoderne. Le vide a été digéré et assimilé par le vivant, de même que l’onirique revient à l’ordre du jour. La matérialité du fantasme est lourde, son impermanence inéluctable, Caroline Breton le résume en une phrase : « Bienvenue, on va dans la cave? »

PAR ANTHONI DOMINGUEZ | PUBLIÉ LE 26 MARS 2008

in Mouvement

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